Mais... où suis-je ?

Le Barde dans la Machine écrit pour vous des élucubrations sur les mondes imaginaires. Pour faciliter vos choix de lectures, les publications sont regroupées en thèmes :

"Récits", des nouvelles (entières ou par épisodes) qui parlent de SF et de Fantasy. Les récits les plus longs sont publiés par épisodes, puis compilés.
"Contes de la Marche", qui regroupe des récits de Fantasy se déroulant un même univers.
"Lubies", des textes plus courts sur des sujets aléatoires.
"Bouquins", où je vous narre et critique mes derniers lectures.
"Carnets", de brèves observations ou impressions, en quelques paragraphes.

Les Fils de l'Ours (5)

— Je n'ai pas confiance en ce Yern, répéta Efi.
— Qu'est-ce que tu veux faire ? Le vin est tiré, maintenant il faut le boire, répondit Edvin, pas pour la première fois depuis leur retour.

Joignant le geste à la parole, il leva son verre et descendit la bière tiède qu'elle lui avait servie pour accompagner le repas. Ils terminaient un dîner frugal de viande séchée et de pain noir à la table d'Efi, dans sa masure de rondins sur la lande. Edvin aurait préféré passer ce moment avec sa famille, mais Efi avait insisté pour lui parler, et c'était un des rares endroits où ils pouvaient échafauder des plans sans être dérangés ou pire, entendus.

Efi revint à la charge.

— Et qu'est-ce qu'il deviendra une fois qu'il aura vendu la fausse lettre au sergent Arald ?
— Il a promis de disparaitre, il ira se perdre à Heimark, ou au diable si ça lui chante.
— Et s'il s'arrête dans des tavernes, qu'il se met à boire et à causer à tort et à travers ? Vu la couleur de de son nez, ça doit lui arriver souvent.
— Il sera loin, et on n'est pas connus à Heimark. Qui fera le lien ?
— Le monde est petit, et la Marche encore plus... Je suis prête à parier que le Prieur a des amis là-bas. Imagine qu'il le retrouve ! Yern doit se douter que la lettre est un faux, et on sait ce qui arrive à ceux qui imitent le sceau du baron...

Edvin hocha la tête. La mort par pendaison pour les faussaires, voire pire si l'exécuteur était d'humeur créative. Efi poursuivit, implacable.

— Tu peux parier tout ce que tu veux qu'il nous balancera immédiatement. Et puis...
— Quoi d'autre ? demanda Edvin d'une voix où perçait l'agacement.
— Même si l'Ordre ne le retrouve pas, tu peux être sûr que Yern nous mettra dans la merde. Qui nous dit qu'on peut faire confiance aux contacts que ton demi-frère Olker nous a indiqués à Heimark ? Tout ça c'est de la pègre des villes. Si ça se trouve, il nous a même jetés dans leurs griffes pour nous prendre ce qui nous reste...
— Olker est un salaud mais pas une ordure, protesta Edvin tout en réalisant la pauvreté de sa défense. Il ne monterait pas une machination pareille contre moi.
— Peut-être, admit Efi avec une moue peu convaincue. En tout cas, même si Olker n'est pas dans le coup, Yern peut nous doubler ou nous balancer. On est trop dépendants de lui, il nous aura à sa pogne. Je ne vois qu'une seule solution.
— Qui est... ? demanda Edvin, vaguement inquiet.
— Il faut le tuer et faire disparaitre son corps. Dès qu'on sera certains qu'Arald a acheté la lettre. C'est le seul lien entre nous et cette affaire, on ne peut pas se permettre de le laisser en vie.

Edvin réfléchit en mâchonnant un morceau de viande fumée. Efi semblait bien plus expérimentée que lui dans ce genre de complots. Les rencontres clandestines, les tractations avec le faussaire du quartier du Ratt à Heimark, tout cela était nouveau pour lui, qui fréquentait surtout les forêts et les barbares. Une voix intérieure lui disait de se fier à elle et à son expérience. Une autre voix lui demandait si, une fois le colporteur éliminé, il ne serait pas le suivant sur la liste...

— C'est bien joli en théorie, mais si jamais l'affaire tourne mal et qu'on se fait prendre avec du sang sur les mains, ça sera compliqué d'expliquer ce qu'on avait contre ce crève-la-faim. En voulant masquer nos traces, nous nous accuserons.
— Si tu as peur du sang, je peux m'en charger, rétorqua Efi d'un ton cinglant. De toute façon, qu'as tu à proposer de mieux ?
— On pourrait l'emmener jusqu'à l'autre bout de la Marche, pour s'assurer qu'il disparait le temps qu'il faudra.

Efi balaya l'idée d'un geste de la main.

— C'est la meilleure manière d'être vus partout en sa compagnie. Tu parles de discrétion ! En plus ça ne garantit rien, Yern ne va pas rester sagement là où on l'aura posé... Et de toute façon j'ai l'impression que le Prieur pourrait le retrouver n'importe où. Il a beau commander une forteresse secondaire, il pèse lourd dans l'Ordre ; ne sous-estime pas la longueur de son bras.
— C'est un meurtre de sang-froid. Tu me demandes de devenir un assassin.
— On n'a pas le choix, Edvin. Si les chevaliers nous prennent, cette fois-ci il ne se contenteront pas d'un simple passage à tabac. Et ta femme et ton fils ne seront pas à l'abri non plus.
— Et si nous ne livrons pas le trésor aux borags, ils nous feront pire encore. Nous sommes pris entre le marteau et l'enclume.
— Le vin est tiré, il faut le boire. Et puis, ça ne sera pas le première fois que tu tues un homme, non ? Tu étais soldat dans le temps.

Edvin grogna.

— Ce n'était pas pareil. Et comment voudrais-tu qu'on s'y prenne ?
— On donne rendez-vous à Yern dans un endroit discret, comme la dernière fois – mais encore plus loin dans les bois. On s'assure qu'il a vendu la lettre au sergent Arald, et on le plante.
— Comme ça, de but en blanc ? Il va se méfier.
— On arrangera un piège, une diversion. Par exemple lui faire lire un papier.
— Il sait lire ?
— Tu vois ce que je veux dire ! On va trouver quelque chose, s'impatienta Efi.
— Et quand est-ce que tu comptes faire tout ça ?
— Je lui ai donné rendez-vous ce soir, sous l'arbre aux esprits. Il est temps qu'il nous dise ce qu'il a pu obtenir d'Arald.

Déjà ?

Un peu plus tard, au coucher du soleil, ils se dirigeaient vers leur rendez-vous avec le colporteur. Une dague de chasseur était dissimulée dans la botte d'Edvin, tandis qu'Efi avait fixé un poignard dans sa manche gauche. Ils contournèrent le village de Sonborg – ce n'était pas le moment de se faire voir. Après un diner passé à argumenter et à débattre, à faire et défaire des plans, ils avaient épuisé les mots et cheminaient en silence.

Les nuages gris de la journée s'étaient effilochés, et le soleil projetait à l'horizontale sa lumière orangée dans la futaie. Des ombres étranges naissaient et mouraient sur le sol, les troncs et les visages.

Les borags diraient que c'est l'Heure du Sang, se souvint Edvin, et il frissonna.

Les images d'une autre expédition lui revenaient. Les arbres, la lumière, et les larges épaules de Munar devant lui. L'ennemi de l'époque était plus redoutable, les compagnons d'armes plus éprouvés. Quant à Edvin, bardé de métal, sûr de sa force, il ne craignait pas de risquer sa vie, pour le duc et pour ses frères.

Alors qu'aujourd'hui... Il serra le poing, pour en éprouver la poigne autant que pour en maîtriser les tremblements.

Ils arrivèrent à la petite clairière où ils rencontraient leur partenaire. Elle était encore déserte, Yern était en retard. Ils s'assirent l'un sur un rocher, l'autre sur une vieille souche, et attendirent sans parler tandis que Sable, le molosse d'Efi, s'allongeait sous un buisson bas où il resta à haleter, langue pendante entre ses crocs.

Une tension familière se répandait irrésistiblement dans tous les muscles d'Edvin ; une sensation de lourdeur, de brûlure, la paralysie causée par la peur qui montait.

Depuis des années, sa vie obéissait à cette faiblesse qui avait pris possession de lui lors de la guerre. Elle l'avait dépossédé de sa fierté et sa carrière de soldat, ainsi que de la part de terres qui aurait dû récompenser ses années de service lors de la victoire. Désormais, à son tour, il vivait dans l'ombre des hommes vêtus d'acier, craignait leur brutalité, se cachait et complotait.

La peur l'avait amené ici, à attendre un loqueteux qu'ils devaient assassiner pour... Pourquoi déjà ? Pour fuir la colère de plus puissants qu'eux ? Tant de choses qu'il avait dû accepter. "Tu n'as pas le choix", disaient-ils, se répétait-il en avalant chaque couleuvre. À quel moment avait-il perdu le contrôle de sa vie ?

Plongé dans ses pensées, il faillit se laisser surprendre par l'arrivée de Yern, qui surgit du taillis à quelques pas de lui.

Le colporteur ne payait vraiment pas de mine : voûté, les cheveux gris tirant sur le jaune, des yeux qui regardaient de biais, résultat d'un léger strabisme divergent. Des loques rapiécées complétaient le tableau.

— Salut mes damoiseaux. J'm'excuse pour le retard, j'ai été retardé, leur dit-il d'une voix étonnamment chaude et profonde. Une voix de bonimenteur.
— Attends un peu, on va parler un peu plus loin, coupa Efi d'un ton sec. Il y a eu du passage près d'ici aujourd'hui, on sera plus tranquilles.

Le colporteur eut un petit mouvement de surprise, lança un coup d'œil circulaire, mais ne discuta pas. Menés par la jeune femme, ils se frayèrent un passage entre les pins et les chênes, fouettés par les branches d'épineux. La lumière avait encore baissé, et la grisaille commençait à se répandre comme un brouillard, estompant d'abord la lumière et les ombres, puis les couleurs, avant d'oblitérer jusqu'aux formes et aux objets.

L'heure du Loup, ou d'un autre animal totem, pensa Edvin. En tout cas, pas une bonne heure.

Devant lui marchait Yern, les épaules courbées. Était-ce là, entre les omoplates, qu'il planterait sa dague ? Il avait vu des combattants, la vie chevillée au corps, se retourner et affronter leur assassin avec une arme encore accrochée à leur dos. Il valait mieux viser plus bas, dans les reins, ou en remontant sous les côtes pour trouver un poumon ou mieux, le cœur.

Plutôt que d'affronter cette boucherie, il pourrait partir loin d'ici. Retourner à la clairière, la route, sa maison et sa femme ; et s'il abandonnait ici ses mauvais compagnons, et retournait à ses affaires sans plus essayer de devenir un assassin ? Il avait soif de paix, de tranquillité, pourquoi devrait-il affronter sans cesse le même démon ? Soudain cette solution lui paraissait pleine de bon sens.

Je pourrais me sauver maintenant, plutôt que de me couvrir de honte tout à l'heure.

Pourtant ses pas continuaient de le porter en avant, comme si tout était déjà écrit, comme s´il n'avait plus qu'à jouer le rôle qui lui était assigné. Peut-être était-ce mieux ainsi. Peut-être allait-il, pour une fois, être à la hauteur. Il avait démérité de ses frères d'armes ; son demi-frère l'exploitait ; même Grita, sa femme, cachait mal sa déception devant son manque de courage. Pourrait-il un jour interrompre cette longue chute ? Il respira un grand coup, essaya de se sentir fort et sûr de lui.

Ils arrivèrent enfin à l'arbre aux esprits. Le fût colossal du chêne s'élevait tout droit au milieu d'arbres plus petits, car les barbares choisissaient toujours les plus vieux et les plus gros troncs pour leur culte des esprits ancestraux. Efi se retourna et s'adressa à Yern.

— Ici on est tranquilles. Alors, tu as parlé à Arald?
— Bien sûr ! J'ai une bonne nouvelle à vous annoncer.
— Vas-y, déballe ton sac.

Pendant qu'ils parlaient, Edvin fit quelques pas sur le côté, comme pour inspecter les fourrés, mais en réalité pour se placer sur le flanc du colporteur. L'homme était misérable et décharné, mais n'importe qui pouvait tuer un homme avec un couteau pointu et un peu de rapidité. Il n'osa pas se placer dans son dos, cela aurait été trop évident.

— Je lui ai montré la partie du message que vous m'aviez indiquée, il a eu l'air de trouver ça intéressant, reprit Yern. Il m'a même fait une offre sur le champ !
— Il proposait combien ? demanda Efi avec une pointe d'agacement.
— Une demi-couronne ! De l'or !

Le vieux colporteur ménageait ses effets du mieux qu'il le pouvait, mais Efi n'était pas d'humeur à se faire raconter des histoires. Elle échangea un coup d'oeil d'avertissement avec Edvin et pressa le colporteur, s'approchant comme pour mieux lui arracher la conclusion de son récit.

— Alors, tu as fait la transaction ?
— Attendez ! répondit Yern, tout en faisant un pas en arrière. Je n'en suis pas resté là. Comme je voyais que je l'avais ferré, je lui ai demandé le double, à cause de ma famille misérable que je dois nourrir !

Efi haussa les sourcils. Yern avait l'air de croire à l'efficacité de ses boniments, c'en était pathétique. Mais il avait la main, pour l'instant.

— Et il a payé ?
— Il a voulu négocier, j'ai même cru qu'il allait me jeter aux fers, mais finalement il m'en a laissé trois-quarts de couronne, comme je m'y attendais, et on a conclu l'affaire.
— Parfait ! Il ne te reste plus qu'à nous rendre notre part...

Edvin prit une profonde inspiration et se prépara à tirer sa dague pour porter un coup de bas en haut, sous le coude du vieil homme. Son coeur s'était mis à battre à toute allure. Surtout, ne pas fermer les yeux en frappant.

Mais Yern ricana.

— Pas si vite, les gars ! J'ai quelques amis qui voudraient aussi partager avec vous...

Trois rudes gaillards sortirent du fourré, armes à la main. Deux d'entre eux portaient à la pommette la marque au fer rouge en forme de "X" qui distinguait les condamnés pour crimes de sang. Edvin vit briller le fil aiguisé de dagues et d'une hache.

Yern poursuivit, tandis que les nouveaux venus approchaient à pas lents.

— Vous m'avez l'air de deux drôles de numéros, et je ne comprends pas toutes vos manigances, alors j'ai pris quelques assurances pour ne pas me faire refroidir dans un fourré à la fin de l'histoire... Malheureusement, je crains que mes amis ne soient pas très partageurs.

Une sueur froide coulait dans le dos d'Edvin, qui échangea un coup d'oeil avec Efi, mais cette dernière avait déjà tiré son poignard et faisait face aux trois hommes – ils étaient bien plus inquiétants que le colporteur. De son côté Yern reculait encore, il était hors de portée d'un coup par surprise.

La lumière crépusculaire de la forêt avait pris une teinte dorée qui ruisselait sur les arbres, les troncs, les lames tranchantes brandies contre lui. Le rugissement du sang dans ses oreilles faisait un bruit assourdissant. Mais plus que tout cela, Edvin sentait la boule glacée qui lui nouait les tripes, et le tremblement de ses cuisses qui l'empêchait d'adopter une vraie posture de combat.

C'était donc ainsi que tout allait se terminer ? Assassiné par des crapules, laissé sans sépulture pour une erreur d'appréciation, dans cette histoire où il n'avait jamais vraiment eu le choix ? L'air portait une odeur de mort, la couleur dorée avait maintenant recouvert toutes les surfaces environnantes, et pourtant il distinguait parfaitement le sourire mauvais d'un tueur, la brûlure en forme de croix et même une cicatrice à son sourcil. Il vit du coin de l'oeil Efi bouger à la vitesse de l'éclair, son adversaire éviter un coup et riposter sans plus de succès. Les deux autres venaient pour lui, bien sûr ils s'imaginaient qu'il était le plus dangereux.

Deux contre un ! Tu es foutu, Edvin.

Face aux assassins qui s'écartaient pour le prendre en tenaille, le désespoir l'envahit. S'il tentait de fuir dans la broussaille, ils n'auraient aucun mal à le rattraper et le poignarder dans le dos. Le piège ourdi avec Efi s'était retourné contre eux.

Contre deux adversaires, la seule chance du combattant isolé est de rester en déplacement pour les garder toujours en vue, jusqu'au moment où il peut éliminer le plus faible des deux et revenir à une situation de duel – de préférence avant de s'être épuisé. Dans la forêt, les nombreux obstacles rendent ces mouvements plus difficiles, mais on peut aussi s'en servir pour gêner l'adversaire. Marcher d'un côté, changer de sens, reculer entre deux buissons, feinter une attaque vers l'un, vers l'autre, pour tester leur vigilance et voir comment ils se gardent. Rompre l'encerclement par un bond, une course soudaine, ne pas oublier de bien respirer et de ménager son endurance, autant que possible.

L'un des deux truands brandit sa hache avec maladresse, il a pris cette arme pour se rassurer par sa taille, mais n'en connait pas le maniement.

Continuer de reculer, de tourner, mais s'arranger pour laisser approcher le plus faible par le flanc arrière, faire semblant d'affronter son acolyte, plus inquiétant avec sa garde basse et ses mouvements reptiliens du bras. Se battre, ne pas se laisser distraire par cette impression de se voir de l'extérieur, d'avoir quitté son corps – sauver sa peau avant tout. Guetter du coin de l'oeil l'attaque qui vient, bien sûr la hache est brandie trop haut et trop en arrière, comme s'il fallait plus de force encore, alors qu'il n'y a aucune cuirasse à percer. Dans l'instant même, se retourner et bondir d'un seul mouvement, prendre l'ennemi à bras le corps pour neutraliser son arme trop longue, et frapper au ventre en remontant, frapper encore. Le premier coup tremble, mais pas les suivants. Soudain, le plaisir sanguinaire que l'on croyait oublié, faire couler le sang de l'ordure qui veut ta mort. Quel est ce hurlement de dément, ce cri ridicule ? Le tien, Edvin. A quelques mètres, mais hors de vue, un cri d'Efi lui fait écho.

Vite, se retourner. Une lueur différente dans l'oeil de l'adversaire qu'il te reste, qui sait se battre ; il va être prudent maintenant. Approcher de biais, en présentant un peu plus le côté qui tient la lame, tourner, feinter, chercher l'obstacle sur le sol qu'il n'aura pas vu, qui le fera trébucher et te donnera ta chance d'en finir avec lui. Une voix rauque éructe des insultes et des obscénités ; c'est la tienne. Il a évité la souche, et la racine qui aurait fait un piège parfait pour sa cheville. Peut-être ce buisson bas. Il l'a vu, contre-attaque à son tour, de rapides coups de pointe. Ne pas reculer en ligne droite, tourner d'un côté, puis de l'autre.

La douleur au côté droit, fulgurante. Yern a surgi, il retire sa lame toute rouge de ton flanc. Écraser un coude sur son visage, se débarrasser de lui comme d'un insecte. Quelque chose craque, un bruit de chute, mais le mal est fait.

Faire face à l'adversaire, qui approche sans se presser pour la mise à mort - il a le temps désormais. Difficile de maintenir le bras droit en garde avec cette douleur lancinante, mais la rage de tuer te brûle toujours les tripes.

Il n'y a plus que la couleur dorée, l'odeur de mort qui devient étouffante, et le rictus du tueur. Bientôt tu ne verras même plus sa lame.

Tant pis. Avant de t'être vidé de ton sang, courir à l'ennemi, engager le corps à corps et tenter d'en finir au plus vite, d'une manière ou d'une autre.

Une racine bloque ta cheville, tu chutes gueule en avant dans les fougères. Explosion de souffrance quand tu essayes de te relever, le bras qui se dérobe sous ton poids.

A terre tu vois le truand arriver, préparer un coup de dague qui va t'épingler au sol. Ramper frénétiquement pour éviter le coup de grâce, grappiller quelques ultimes secondes de vie, sordides et désespérées.

L'odeur de mort devient insoutenable, et soudain les buissons explosent. Une vision de cauchemar surgit derrière l'homme au couteau, le soulève du sol et le déchire en morceaux comme un simple morceau de viande. Du sang chaud sur ton visage, et la lumière dorée qui remplit tout, qui cache enfin l'abomination derrière un voile aveuglant.

Puis les ténèbres, et le néant.

– À suivre

Les Fils de l'Ours (6 et fin)

Les Fils de l'Ours (4)