Apothéose
Cité Divine, 3 novembre
Le soleil se levait sur la Cité Divine : un bleu doux éclaircissait le ciel, et les rayons rasants heurtaient de place en place une flèche, un dôme, un bulbe de métal doré, pour éclater en scintillements aveuglants. Alors que les faubourgs étaient bien espacés, dans le centre monumental les rues manquaient de largeur, sans doute pour contraster avec les murailles de pierre blanche qui s’élevaient de part et d’autre, ornées de gravures gothiques, d’écrans géants et de peintures murales naïves. Rien qui ne fasse moins de quatre mètres de haut, observa Benedict.
La veille il s’était couché tôt, après avoir assisté à un office sans intérêt à part le cadre grandiose du lieu de culte. Alors que les Pacificariums édifiés dans le monde entier présentaient une image sobre, voire ascétique, ici on ne comptait pas les voûtes, les statues et les ornementations. Benedict était fasciné par le visage radicalement différent que présentait le centre mondial de l’église de la Paix et de l’Harmonie, et comptait mettre à profit cette journée pour en apprendre plus. D’autant que la veille, c’était la célébration de l’un des Treize Jours Sacrés de la Paix, qui s’était terminée tard dans la nuit par des libations et des chants. À en croire l’heure où le bruit avait cessé, la matinée allait être tranquille, propice à une exploration en profondeur.
Il n’était pourtant pas seul dans la rue ; malgré l’heure matinale, des diacres et des cultistes vaquaient déjà à leurs affaires, vêtus de leurs robes de bure caractéristiques. Le choix des matériaux révélait souvent le type de secte auquel on avait affaire : si les tissus étaient trop légers, il y avait de l’abus sexuel dans l’air ; trop lourds, ils cachaient sans doute des flagellations. Dans tous les cas, on pouvait compter sur eux pour le manque d’imagination dans la coupe. Pour les siens, Ao avait fait le choix de tenues amples dans un matériau de qualité correcte, sans échancrures révélatrices. La couleur sombre évoquait plus les moines médiévaux (franciscains ou dominicains) que des mouvements new-age, et la capuche était bienvenue sous le soleil violent des Caraïbes. En tout cas, rien d’extra-terrestre là-dedans.
Si l’aspect de canyon évoquait le centre de New-York, la rue était calme, aucun véhicule n’y circulait. On entendait seulement le vent entre les tours, parfois le cri d’un oiseau de mer, et la douce rumeur des psalmodies.
Toute cette tranquillité mettait d’autant mieux en valeur l’architecture fantastique de la Cité divine : l’Église de la Paix, etc. etc., avait mis les moyens, aucun toit qui n’ait sa dorure à la feuille. Benedict n’avait jamais vu autant de faste, même les grandes sectes américaines du XXe siècle étaient battues. Et le style était encore plus intriguant ; là où des gourous ordinaires se contentaient de reproduire des schémas plus ou moins exotiques de temples ou de cathédrales, ici une architecture originale avait été conçue, que l’on retrouvait dans diverses variations à travers tout le centre de la Cité. Un oeil exercé y retrouvait des traces de styles historiques européens, russes ou asiatiques, des choix plus modernes inspirés par Oscar Niemeyer, mais aussi des formes et des proportions complètement différentes. L’Église avait des moyens, et peut-être même du goût pour qui cherchait au-delà de la couche dorée.
Traversant ce Manhattan mystique, Benedict déboucha soudain sur une esplanade très large. Il cligna des yeux, ébloui par le soleil qui se levait juste en face de lui – que d’effets de lumière, décidément... Il se trouvait face au coeur de la Cité et de son mystère le plus épais. Jusqu’ici, il avait parcouru un quartier de temples, d’universités, d’administrations, avec les tours des media religieux (versions jumelles de la Durmoch Tower à Los Angeles). Des lieux fréquentés par les fidèles et les prêtres de second ordre, affairés avec la dignité et la sérénité affectée de ceux qui ont été élus pour venir en Sa Présence.
À partir d’ici commençait le domaine d’Ao : ses quartiers, ceux de ses archidiacres les plus influents, les lieux des cérémonies les plus secrètes et, disait-on, les plus sulfureuses. Une Cité dans la Cité, inaccessible sinon aux plus Élus d’entre les Élus. Un dôme immense, immaculé, qui écrasait de sa masse les degrés menant à l’esplanade et les rares silhouettes qui passaient sans s’arrêter, aussi insignifiantes que des fourmis sur le perron d’une maison.
Benedict se dirigea droit vers l’entrée, un vaste porche aux dimensions cyclopéennes. Tout en marchant d’un air affairé, il serra le poing dans la poche de sa robe de bure. Il ne pouvait désormais s’autoriser aucun tremblement.
Les pas de Benedict résonnaient un peu trop fort sous les hautes voûtes du palais d’Ao. Vu de l’extérieur, le bâtiment évoquait une coquille, mais en réalité de vastes ouvertures laissaient entrer la lumière solaire, tout juste filtrée par des vitres progressives au fur et à mesure que le jour montait.
Entrer avait été facile, grâce aux lentilles de contact trafiquées qu’il s’était procurées. La reconnaissance rétinienne du portail n’y avait vu que du feu, son fournisseur avait bien mérité les deux mille livres que le faux avait coûté.
Il marchait au hasard dans le saint des saints, en se donnant une contenance qui mêlait sérénité mystique et de préoccupation d’homme de responsabilités, reflet des manières qu’il avait observées chez les diacres de la Cité Divine. Depuis longtemps il savait cultiver sa vision périphérique, l’art des coups d’oeil investigateurs masqués sous un apparent manque de curiosité. Il ne savait pas encore ce qu’il cherchait, mais il ne doutait pas de l’apprendre bientôt.
Le corridor décrivait une vaste courbe le long de la paroi extérieure du sanctuaire ; l’arrondi masquait la destination de Benedict, et avalait derrière lui les lieux qu’il parcourait. De temps à autre, une porte sur sa droite permettait d’accéder aux zones intérieures – sûrement une structure en oignon, classique dans l’architecture ésotérique. Les rares portes ouvertes donnaient sur des salles de culte fastueuses. Après en avoir passé plusieurs, Benedict comprit que c’étaient les seuls accès vers l’intérieur, et il s’engagea sour la coupole d’un temple presque vide. Un diacre était en train de rythmer la séance de méditation de trois fidèles somnolents, gradés intermédiaires du culte à en juger par leur tenue. Benedict balaya la salle des yeux sans s’arrêter de marcher, reconnut une issue en arcade à l’autre extrémité et s’y dirigea en contournant les fidèles pour ne pas les déranger ; ni trop près, ni trop loin.
Au-delà du portail, le bâtiment devenait labyrinthique, et la lumière solaire tombait du plafond en portions plus congrues, la faute au dôme toujours plus haut et aux couloirs toujours plus étroits. Les portes fermées se multipliaient, et Benedict commença à coller son oreille aux battants et à tester les poignées. L’une des portes s’ouvrit sur un placard à balais de cinq mètres sous plafond ; la suivante sur un local d’archives qu’il aurait passé des années à explorer et à lire ; en ouvrant la troisième, il tomba sur un gros diacre robe relevée, dont le bassin qui martelait le postérieur d’une jeune cultiste à moitié nue, affalée contre un bureau. Elle le dévisagea de ses yeux éteints ; sans doute le soma embrumait ses sens et son esprit. Benedict marmonna quelques excuses et referma la porte - il entendit le verrou tourner alors qu’il s’éloignait. Les rumeurs d’abus semblaient justifiées ; le contraire l’eut étonné.
Une rumeur circulait sous la voute, rendue indistincte par les réverbérations. Récitations, conversations, chants, ou un peu des trois. Benedict décida de s’approcher – une salle de culte mieux remplie, ou un lieu de rassemblement, lui apprendrait plus que ces suites de pièces vides. Les voûtes s’élevaient de plus en plus haut, la lumière devenait lointaine et sépulcrale. Puis le couloir fit un coude, et Benedict arriva à l’entrée d’une salle lumineuse, de forme circulaire. Des rangées de colonnes de marbre blanc en ponctuaient le cercle, des glyphes dorés s’étalaient sur les parois de la coupole, sous le puits de lumière qui laissait tomber du ciel un rayon aveuglant, cylindrique. Une douzaine de fidèles étaient assis là, tournés vers un lieu en hauteur sur sa gauche qui lui était masqué par une colonne. Soudain il réalisa qu’il était arrivé au centre du sanctuaire d’Ao, et une boule d’angoisse se noua dans son ventre.
Deux jeunes diacres, silhouette athlétique et regard serein, se portèrent à sa rencontre et l’invitèrent à avancer. Il entendit la voix d’Ao qui s’adressait à lui :
— Bienvenue , Benedict Stuart, pourfendeur des faux cultes. Il est temps que nous discutions un peu de ma théologie, ne penses-tu pas ?
La créature, Divinité ou autre, était affalée dans un vaste divan pourpre, sur une corniche de marbre. Deux jeunes gens étaient blottis dans ses bras ; l’attitude maternelle et protectrice d’Ao était démentie par la position de ses mains, dont l’une s’activait dans le corsage de la femme, l’autre sur le sexe de l’homme. Ils arboraient une expression d’extase que Benedict avait déjà vue sur le visage de drogués à l’héroïne. Soma, adoration aveugle, ou bien encore autre chose ?
La Divinité avait suivi son regard.
— Oui, je prends soin des miens. Un jour peut-être, si notre conversation te convainc, toi aussi tu chercheras mon étreinte.
— Permettez-moi d’en douter.
— Tu crois sans doute que tes petits traumatismes personnels te mettent à l’abri des aveuglements. Mais ce que je propose est d’une tout autre nature, tu finiras bien par le voir.
— Et comment comptez-vous m’en convaincre ? Allez-vous m’abrutir de soma, ou m’empêcher de dormir pendant un mois ?
Benedict s’en voulut d’avoir laissé passer autant de colère dans sa voix ; il ne voulait pas qu’elle voie sa peur, mais il ne pouvait s’empêcher de penser aux prisons que l’immense édifice comportait certainement. Ao leva juste un sourcil, sans montrer la moindre émotion.
— Rien de tout cela. Je ne suis pas comme les charlatans que tu as combattus jusque-là. Tu as vu les réalisations de mes fidèles. Je suis arrivée nue dans ce monde, je parlais à peine vos langues, et en quelques années nous avons bâti un mouvement, des églises, une Cité dont les bâtiments sont plus beaux que tout ce que la terre a porté jusque-là !
— C’est une belle réussite matérielle, je vous le concède.
— Ah, Bénédict, sourit la Divinité. Ne comprends-tu pas que tout est fondé sur le coeur de mes fidèles, sur leur foi et leur ardeur ?
— D’ailleurs ils sont nombreux ici. Si vous voulez vraiment parler à coeur ouvert avec moi, nous devrions peut-être nous isoler un peu ?
— Tout ce que j’ai à te dire, ils peuvent l’entendre.
— Dans ce cas je crains fort que vous n’ayez pas grand-chose à m’apprendre...
— Tu ne vas quand même pas renoncer sans même avoir essayé. Quelles sont ces questions indicibles que tu souhaites me poser ?
Benedict se mordit les lèvres. Le défi était si visiblement piégé... Il se lança pourtant.
— Pourriez-vous m’expliquer qui – enfin, ce que vous êtes exactement ?
— Tu ne crois pas à ma nature divine ? rétorqua Ao, presque narquoise malgré la douceur inchangée de sa voix.
— Non.
— Tu as raison.
Benedict sursauta intérieurement, jeta un coup d’oeil aux fidèles pour déceler une réaction de surprise ou de connivence.
— Vous venez bien de me dire que vous êtes humaine ? Toute la propagande de l'Eglise est un mensonge ?
— Mais non. Vous autres humains, vous vous faites une idée très précise de ce que doit être un dieu : omniscience, omnipotence, transcendance, création du monde, que sais-je encore... Il est vrai que je ne remplis pas ce cahier des charges. Mais je suis bien plus que toi, que ce diacre ou que Bob Durmoch dans sa tour-phallus.
— Si vous n'êtes pas humaine, que prétendez-vous être ?
— Je viens d'ailleurs. D'un monde que, dans leur langue, les miens nomment Terre – n'est-ce pas délicieux ?
— Une extraterrestre ?
— Une, un... les genres nous importent moins qu'à vous. Et nous n'avons pas cette obsession, cette relation de dépendance avec la matière.
— Ouais. Et comme par hasard, n'écoutant que votre altruisme éthéré, vous batifolez de galaxie en galaxie, répondant partout la Paix et l'Harmonie ?
— Oh, non... Mon espèce est du genre égoïste. Pourquoi se vautrer dans la fange, quand on peut contempler les merveilles du monde de l'esprit ?
— Merci pour la fange.
— Tu vois, je ne cherche pas à te flatter.
— Et pourquoi vous, vous seriez différente des autres ? D'où vous vient cet amour de la Paix et de l’Harmonie que vous déversez sur toute la planète depuis deux ans ?
— Je fais partie de ceux qui s'intéressent au vaste univers, pour qui la contemplation de l'Esprit ne suffit pas. Depuis longtemps j’observe votre monde, et ce que votre espèce en fait. Tant de possibilités, mais aussi d'échecs et de gâchis...
— Et bien sûr vous avez volé à la rescousse, n’écoutant que les battements de votre petit cœur.
— A vrai dire, tout a commencé par un débat théorique. Certains tenaient l'espèce humaine pour condamnée à l'autodestruction. J'étais d'avis contraire, à condition qu'une aide extérieure permette à l'humanité de vaincre ses vieux démons. Mise au défi, j'ai proposé d'essayer moi-même. J’étais convaincue d’obtenir des résultats rapides.
Benedict haussa les sourcils.
— Tout a donc commencé par un pari stupide...
— Mesure tes paroles, le coupa Ao avec moins de douceur. Nos discussions auraient épuisé les possibilités de ton intellect en quelques secondes.
— Ils sont au courant ? demanda Benedict en désignant les cultistes assemblés autour d'eux.
— Bien sûr. Comme tous tous ceux qui sont admis dans le sanctuaire de ma Cité.
— Et vous mentez au reste du monde ?
— C'est une simplification pratique. Si je suis moins que vos dieux imaginaires, je suis bien plus qu'humaine. Et vous avez de tels fantasmes sur les extra-terrestres...
Benedict reconnut en son fort intérieur que l'histoire d'Ao était plutôt bien construite. Mais cela ne suffisait pas à la rendre vraie. Il rassembla tout ce qu'il avait d'outrecuidance pour défier à nouveau la créature.
— C'est une bien jolie fable que vous me racontez. Mais rien de ce que vous avez accompli jusque-là n'était hors de portée d'un humain déterminé, aux pouvoirs de persuasion hors du commun. Pouvez-vous me prouver que vous différente de tous les autres charlatans ?
— Tu veux des preuves ? Je vais t’en donner...
Ao se leva, descendit de sa corniche et s’approcha de lui.
Benedict se remettait à peine du contact avec l’esprit de la Divinité. Ses mains tremblaient, et il chancelait parfois sur ses jambes. Mais plus que la faiblesse physique, un tourbillon de questions et d'émotions l'empêchait de fixer son esprit sur un sujet.
Comment avait-elle fait ? Que lui était-il donc arrivé ?
Et si, pour une fois, tout était vrai ?
La nef principale du sanctuaire, vaste salle aux voûtes démesurées, se remplissait de fidèles dans une harmonie de teintes brunes et chair. Ils prenaient place sans bruit, s'asseyaient en tailleur en formant un vaste arc de cercle autour d’un oratoire en marbre. À peine les murmures de quelques conversations troublaient-ils le silence.
Benedict s'assit parmi eux, sur un coussin élimé et aplati par l'usage. Puis Ao parut dans une robe safran – ici elle était plus libre dans ses tenues. Il était curieux de savoir ce qu'elle avait à leur dire aujourd'hui.
La Divinité extra-terrestre s'installa derrière l'oratoire, et leur parla comme si elle s'adressait directement à chacun d'entre eux. Benedict eut l'impression de reprendre leur discussion là ou ils l'avaient laissée tout à l'heure, et que son ton chaleureux cherchait à dissiper le malaise qui lui nouait les tripes.
Contrairement aux cérémonies des Pacificariums, elle ne leur adressait pas un prêche, une exhortation pour convaincre des fidèles vacillants de changer de vie. Ici Ao parlait à ses plus proches, il devait y avoir beaucoup d’archidiacres dans la salle, et elle leur insufflait le courage et l’envie d’aller plus loin au service de la Paix. Malgré lui, Benedict sentit son coeur se gonfler dans sa poitrine : la Divinité s’adressait à tous, lui compris.
En plein milieu d'une phrase, Ao s'interrompit, le regard dans le vague. Puis des pensées résonnèrent dans l'esprit de Benedict, comme si quelqu'un parlait directement dans sa tête. Ce n'était pas la voix d'Ao – ce n'était même pas une voix, ni même des mots – mais il eut la certitude que la Divinité s'exprimait ainsi.
Oui, je vous entends.
Une pause.
C'est important ?
Une autre pause. Puis, comme un soupir mental.
Il n'y a pas d'autre moyen ?
(...)
J'arrive.
Benedict nota un mouvement dans la foule des fidèles, comme un trouble ; le phénomène n'était donc pas habituel. Puis Ao leur parla à nouveau, et son ton était juste un peu moins caressant que d’ordinaire.
— Mes chers enfants, je dois m'absenter. Continuez sans moi, vous vous en sortez très bien !
Puis il n'y eut plus personne derrière l'oratoire.
Internet, 21 décembre
L'église de la Paix et de l'Harmonie se divise
Les rumeurs de schisme allaient bon train ces dernières semaines, elles ont été confirmées par un communiqué des Fidèles du Retour d'Ao. Effective dès aujourd’hui, la séparation officialise des divergences croissantes au sein du mouvement.
Le Grand Consul du Culte Didier, récemment promu à ce nouveau poste qui coiffe la hiérarchie séculière de l'Eglise de la Paix et de l'Harmonie, a déclaré :
Cette secte est constituée d'un petit groupe d'imposteurs, qui propagent la rumeur d'un prétendu départ de la Divinité pour attirer à eux les esprits confus. J'userai de toutes les responsabilités qui viennent de m'être confiées pour protéger notre église de la division, et poursuivre l'œuvre de paix et d'harmonie que nous avons entamée avec un tel succès depuis deux ans.
Il n'a fait aucune référence aux deux autres mouvements dissidents, dont on attend des déclarations similaires dans les semaines qui viennent.
Londres, 4 Janvier
Benedict H. Stuart avait un peu de mal à se concentrer. Pour la dixième fois peut-être, il reprit à zéro la lecture du rapport des Nations Unies sur le Temple de l’Arbre, obscur mouvement mystico-rural américain qu’il comptait démasquer facilement. Sur son smartphone, les notifications se succédaient : l’Eglise de la Paix et de l’Harmonie était en train d’éclater en quatre sectes concurrentes. Ce n’était plus son affaire, et pourtant...
Il se leva de son bureau et se rendit à la cuisine, où il prit une bière dans le frigo. Il n’avait pas l’habitude de boire en travaillant – c’était juste la fin de l’après-midi – mais ces derniers temps il avait changé beaucoup de ses routines. Il ouvrit la fenêtre et s’accouda dans l’embrasure, buvant au goulot à petites gorgées. Il regardait circuler les voitures en contrebas, et savourait l’air froid qui fouettait son visage.
Puis il leva les yeux vers le ciel d’hiver, déjà obscur. L'éclairage urbain éclipsait les étoiles, mais Benedict savait où elles se trouvaient : il était devenu expert en constellations. Il chercha du regard, sans rien voir, agitant dans sa tête les sempiternelles questions : « Où se trouve-t-elle donc ? Va-t-elle revenir ? Qu’ai-je vécu exactement ? »
L’espace lui rendit son regard aveugle, et ne répondit pas.