Il y a un temps pour écrire, et un temps pour relire. Les proportions varient, mais chaque ouvrage a sa logique, et on y gagne généralement à ne pas les mélanger.
Écrire un premier jet, c’est se donner du courage, tenter de donner une forme à une idée ou une image, empiler des mots comme autant de marches. Malgré un occasionnel sentiment d'urgence, ça n’avance pas très vite ; pas de transcription fiévreuse du murmure d'une muse (pas dans une oreille de barde, en tout cas). Le résultat contient sa part de prose maladroite, de bavardage et de lourdeurs qui, sur le coup, semblaient séduisants.
En corrigeant, on enlève ces échafaudages pour dégager l’édifice ; il s’avère différent du plan d’architecte que l’on avait cru suivre. Mais à l'inverse d'une construction, il n'est pas évident de distinguer les supports et la pierre ; parfois on oublie des outils sur une façade, parfois emporté par l’envie de bien faire, on enlève une corniche ou un morceau de fenêtre. Et puis on reprend la truelle pour un petit raccord, équilibrer des côtés, agrandir une pièce... En réalité, on continue de bâtir.
Il semble naturel de considérer la phase d'écriture comme la "création", et la relecture comme un exercice critique, un nettoyage. Mais souvent, une fois libéré d'un texte, on se retrouve comme le sculpteur devant un bloc de marbre : à essayer de deviner ou de tracer, dans cette gangue, les formes de l'oeuvre finale. La faire émerger est un acte créateur aussi important que l'accouchement initial.