Mais... où suis-je ?

Le Barde dans la Machine écrit pour vous des élucubrations sur les mondes imaginaires. Pour faciliter vos choix de lectures, les publications sont regroupées en thèmes :

"Récits", des nouvelles (entières ou par épisodes) qui parlent de SF et de Fantasy. Les récits les plus longs sont publiés par épisodes, puis compilés.
"Contes de la Marche", qui regroupe des récits de Fantasy se déroulant un même univers.
"Lubies", des textes plus courts sur des sujets aléatoires.
"Bouquins", où je vous narre et critique mes derniers lectures.
"Carnets", de brèves observations ou impressions, en quelques paragraphes.

Speed Club (3 et fin)

La Gatita.

Elle m'a balancé, bien sûr. J'aurais dû voir qu'elle avait complètement plongé, au lieu de lui faire mes yeux de merlan frit. Marcus doit lui filer des produits, pas que de la célérone, et en échange elle le rencarde. Je me demande s'il se la fait, et rien que d'y penser ça me donne envie de cogner. Heureusement qu'elle n'a pas parlé avant que le Matador explose. Évidemment c'était fait exprès : maintenant qu'elle a eu sa petite vengeance, je peux bien crever.

J'approche comme si de rien n'était. Marcus laisse passer les jeunes, et il m'aborde avec son air faux derche, mais je sais qu'il sait.

— Tu peux m'accompagner dans mon bureau ? Je veux te parler d'urrrrhhhhh...

Ça, c'était ma botte dans ses couilles, il ne l'a pas volée ce fils de pute. Malheureusement je n'ai pas le temps de lui mettre la deuxième, je dois partir en courant à toute vitesse pour éviter que ses gorilles m'aplatissent. Derrière moi j'entends Carlos qui s'en paye un, le craquement du nez qui pète, d'autres bruits et ensuite il pousse un cri plaintif, comme quand on écrase la queue d'un chien... Je préfère ne pas voir ce qu'ils lui font. Il faut courir et trouver une idée pour sauver ma peau.

Je trace entre les baraques grises et bien alignées, avec des barreaux aux fenêtres, les technogeeks s'écartent sur mon passage. J'entends mes poursuivants pas très loin derrière, mais je suis trop rapide pour eux, la célérone chante toujours dans ma tête. Je tourne sec à un angle, et dans l'allée suivante je trouve ma chance : un technogeek monté sur un des monos qui leur servent à circuler autour de la base. Je dégage le gars d'un coup d'épaule, il se vautre dans la poussière – rien de personnel mon pote. Je me retrouve aux commandes du mono avant même qu'il commence à basculer, et je mets les gaz. Derrière, les brutes de Marcus gueulent, mais ils l'ont dans l'os, ça va trop vite pour eux.

Le mono est juste un propulseur Montejo posé sur une plaque en tôle, avec un pare-brise à l'avant ; en accélérant je le fais grimper à deux mètres mais il n'ira pas plus haut, il faut encore que je me faufile entre les baraques. La sortie n'est pas loin, je prends quelques virages à fond, presque à l'horizontale, et je file vers le portail. J'ai pas trop réfléchi à un plan, mais l'idée générale c'est de me tirer de ce merdier avant que Marcus ne me fasse découper en morceaux.

Le type de faction à l'entrée me regarde arriver avec de grands yeux, je le passe sans ralentir, disparais dans un nuage de poussière, et il a toujours la gueule ouverte. Mais derrière moi il y a un autre bruit, la beuglante de propulseurs Montejo qui démarrent. Ces enfoirés vont me donner la chasse avec des monos ou des racers !

Tout le tableau de bord de ma bécane se résume à un compteur de vitesse et un rétroviseur vissé au pare-brise, où grossissent les engins de mes poursuivants. Ils ne sont pas nombreux, mais j'aperçois un racer qui a encore son canon monté sur la carlingue. Ça pue pour moi.

Je me souviens d'une vallée, avant l'entrée du canyon, avec des pentes raides et des arbres bien serrés ; un bon terrain pour semer mes poursuivants, en plus ils n'oseront pas tirer à tort et à travers, il y a des maisons et des colons dans tous les coins. Je fonce en direction de l'ouest, avec le soleil en face, et ça au moins c'est une bonne nouvelle : mes poursuivants ont du mal à m'ajuster et les premiers impacts de plasma explosent trop loin de mon mono.

J'essaye de les balader d'un côté et de l'autre, leurs tirs continuent de me louper mais le racer gagne du terrain – je ne vais pas tarder à avoir de gros problèmes. Il ouvre encore le feu, et le souffle de l'expansion de plasma fait voler ma planche à réaction. Je me rétablis de justesse, et voilà l'entrée de la vallée que je cherchais !

Je plonge dans la faille bille en tête, d'abord il n'y a que des buissons trop bas pour me planquer, puis des sortes de palmiers – je slalome au ras du sol en espérant que mes poursuivants se prennent un arbre. Dans mon rétro je vois le racer qui remonte pour éviter les palmiers, maintenant avec son canon fixe il va être plus emmerdé pour me tirer dessus, en plus il doit éviter les bâtiments... Moi je fonce, la vallée est plus tranquille que dans mon souvenir, pas de villageois qui se jettent de côté sur mon passage, seulement quelques poulets et un cochon.

Soudain, une explosion. Le racer vient de se prendre une roquette ! J'aperçois la lumière orangée et les bouts de tôle qui partent dans tous les sens, et au même moment le bruit de mitraille, les appareils qui me pourchassaient se font trouer par des tirs d'arme lourde. Merde, il y a des abos armés sur le toit de chaque maison, ils ont traversé le canyon par surprise ! Ils viennent sûrement pour en finir avec le Speed Club. D'autres explosions derrière moi, je cherche la sortie du piège – il doit bien y avoir des passages sur les côtés ! Je vire à 90° sans freiner, le haut du pare-brise éclate contre un mur en béton que je frôle d'un peu trop près et je me prends des tessons en pleine tronche, mais ça ne m'arrête pas et je me relance en direction de la côte et du plateau. Ces bâtards ne m'auront pas, moi, je suis encore au top, à bloc à la célérone. Mais il y a un nid sur une maison d'angle. J'essaye de le passer par en-dessous et j'y arrive presque, mais ils ont eu le temps de basculer leur affût vers le bas, et ils m'alignent dans le dos. J'entends les balles explosives qui défoncent la tôle, les ratés du propulseur, et puis la douleur dans ma poitrine, le rétroviseur et les restes du pare-brise deviennent rouges. Je me cramponne aux commandes mais je n'ai plus assez de vitesse, mon mono se met à pencher et à tourner sans que je puisse le contrôler. Il revient en arc de cercle vers le village, en haut du toit les deux mitrailleurs abos ajustent les canons de leur mitrailleuse. Je me présente en plein dans l'axe, j'attends la rafale qui va achever ma vie merdique.

À ce moment-là, les relents de drogue se dissipent et tout redevient clair dans mon esprit, malgré la vitesse et le sang qui sort de mon torse en faisant un glou-glou dégueulasse. Je revois l'histoire depuis le début : Ciudad Nueva, la capitale du continent où je me suis fait choper en train de braquer des touristes, la taule, le sergent recruteur et les tests de pilotage. Moi j'aimais bien leur jeu vidéo, j'avais toujours été bon à ces trucs-là. Après ils nous ont camés à fond et amenés à Isla Extrema, au bord de la civilisation, où la célérone a fait de nous des pilotes d'élite, les meilleurs des meilleurs, même si on nous faisait conduire des machines complètement pourries, pendant que la dope nous brûlait le cerveau à petit feu et qu'on tombait comme des mouches.

On a fait la guerre aux abos, on a napalmé leurs champs au bout du canyon, bombardé leurs villages, les gars mourraient en plein vol pour des conneries mais ça ne coûtait pas cher, tout ça pour que ces enculés de bourges de Ciudad Nueva puissent prendre des terres et se faire du fric en les fourguant à des planteurs de patates. Quelle arnaque, le Speed Club...

Au moins je me suis bien marré, et je n'ai jamais volé aussi vite.

Alors que le propulseur tombe en rade, que mon tas de tôles racle le sol dans un nuage d'étincelles et que le mitrailleur ouvre le feu, ma dernière pensée n'est pas pour la sale gueule de Marcus, ni pour mes copains pilotes qui prendront bientôt le même chemin que moi, Pablo et tous les autres.

Je voudrais juste baiser une dernière fois avec la Gatita.

Les Fils de l'Ours (1)

Speed Club (2)