A Knight of the Seven Kingdoms
Un Livre de George R.R. Martin
Harrenhall.
Vous marchez dans la forteresse, une des plus anciennes de Westeros, dont les murailles cyclopéennes ont autrefois fondu sous le souffle de reptiles volants, et dont il subsiste encore des tours sans toit et des enceintes percées de trous béants.
Vos pas vous mènent à travers ce chaos jusqu'à une tour plus aux dimensions plus modestes ; à une fenêtre, vous apercevez la lumière vacillante d'une chandelle. L'escalier à vis sent l'humidité, mais la pièce où vous débouchez est parfumée par un feu de cheminée.
Assis à un bureau, un homme écrit, sa plume crisse doucement sur le parchemin. A côté de sa main gauche, qui tient la feuille de vélin, repose un gros tome relié en cuir, aux coins renforcés de métal. L'homme lève la tête en vous entendant arriver, et ses yeux portent les cernes de nombreuses nuits sans sommeil. Bien sûr, il vous reconnaît tout de suite.
— Ah, c'est vous. Prenez un siège, ici je n'ai pas de Brandy mais ce vin de Hautjardin devrait faire l'affaire. Et laissez-moi vous raconter ma terrible histoire...
Finalement, j’ai cédé. Devant les atermoiements de George Martin à terminer sa série « A song of Ice and Fire » (vous ne connaissiez pas ce titre là, hein ? On ne trouve ce genre d’infos que sur les blogs de connaisseurs), après avoir laissé la série télévisée spoiler tous les retournements que j’espérais découvrir dans les livres, j’ai enfin accepté l'inévitable. Le prochain ouvrage que je lirai de G.R.R. Martin ne sera pas le prochain nouvel opus (et peut-être dernier) du Trône de Fer, qui devait s'appeler « The Winds of Winter » et pourrait bien ne jamais être édité...
Alors, pendant que je baguenaudais dans les allées d’une librairie anglophone, je suis tombé sur un autre volume que j’avais longtemps laissé de côté, et sur un coup de tête, je l’ai acheté. Depuis le temps que j’attendais ma livraison de came (2012 quand même!), il n’a pas fait long feu. Je vous présente donc « Chroniques du chevalier errant », en Anglais « A Knight of the Seven Kingdoms ».
Le récit
Dans le continent de Westeros, cent ans avant les événements de la série, nous suivons les aventures d’un chevalier et de son écuyer, en trois parties principales. J’en dis plus ci-dessous en essayant de ne pas trop dévoiler l'intrigue, mais ça nous amène quand même assez loin dans le récit, soyez prévenus.
Tout commence quand Dunk enterre son maître, chevalier errant qui l'a adoubé sur son lit de mort. Il ne possède que deux montures et ses armes, mais il a pour lui sa haute stature et sa bonne mine, même s'il regrette de ne pas avoir l'esprit plus délié. A son tour, se faisant connaître sous le nom de Ser Duncan the Tall ("Le Grand", son seul atout dans la vie...), il part chercher engagements, fortune et peut-être amour sur les routes de Westeros. Dans la première partie, une nouvelle écrite en 1998, Dunk rencontre un mystérieux jeune garçon, Egg, qui devient son écuyer sur un malentendu. Arrivant au tournoi où il voulait faire fortune, Dunk s’attire vite des ennuis et se retrouve mêlé aux affaires de la famille royale, les Targaryen. Il arrivera à s'en sortir, mais au prix de bien des regrets...
Dans la deuxième qui date de 2003, Dunk et Egg sont sur les routes depuis quelques années, et le chevalier errant s’est mis au service d’un vieux nobliau d’une lignée déclinante, aux prises avec les empiètements de la seigneurie d'à côté : la Veuve Rouge, à l'emblème d'araignée. Une visite chez ce voisin encombrant va changer dramatiquement le point de vue de Duncan sur la situation.
Dans la troisième partie sortie en 2010, un tournoi est donné à l'occasion du mariage du vieux seigneur Butterwell et d'une fille Frey. Dunk veut participer et gagner de l’argent, mais rien ne se passe comme prévu, et la famille Targaryen est à nouveau très présente.
Beaucoup d’information
Comme d’habitude, ça grouille, et l’on est parfois submergé par la quantité de personnages nommés, listés et décrits les uns après les autres, dont certains réapparaissent plus tard comme si on les connaissait déjà très bien. Souvent, il faut revenir en arrière pour retrouver de qui l’on parle.
Dans cette avalanche de noms, le lecteur ne doit pas pour autant perdre de vue les autres informations que l'auteur dissémine plus discrètement. En effet, dans ce récit de route et de rencontres, les conversations, bavardages et anecdotes sont rarement aussi anodins qu’ils en ont l’air. Les vieilles histoires sont mal éteintes, les hauts faits passés reçoivent de nouvelles explications, et des personnages évoqués dans un récit peuvent très bien entrer en scène en chair et en os.
Cette manière peut rebuter certains lecteurs, mais elle fait des récits de George Martin des sortes de tapisseries, où au premier regard on peine à distinguer tous les fils individuels, mais dont l’ensemble est chatoyant à l'œil. Par la suite on distingue ceux qui prennent de l’importance, en plissant un peu les yeux on retrouve leur origine. C’est une œuvre volumineuse qui appelle plusieurs lectures, si on en a le courage.
Fils conducteurs
Deux histoires se mêlent dans ce livres (en réalité une série de nouvelles). La première est celle des personnages, acteurs très mineurs de leur époque, et la deuxième constitue la principale intrigue politique de leur époque.
Le prince Aegon en voyage
L'originalité du récit tient à son duo principal : un chevalier errant, situé tout en bas de l'échelle de le noblesse, et son écuyer qui n’est autre qu'un prince royal en fugue.
Le jeune "Egg" fait preuve de beaucoup de culture, d'un certain esprit, mais il est difficile de le discipliner car il n'en a jamais eu l'habitude de courber l'échine. Dunk peine parfois à s'imposer face à lui, ou du moins à le raisonner, mais il dispose d’une technique secrète : une bonne calotte sur l'oreille.
Malgré cette brutalité de façade, un lien fort se crée entre les deux jeunes gens que tout sépare, comme on dit dans les synopsis de films. Sans doute parce que Dunk est du genre pur, il croit aux idéaux de la chevalerie (et on verra qu'il fait partie d’une minorité), et il protège Egg comme il le fait pour d'autres personnes qui ont besoin de sa force. Son écuyer lui devient de plus en plus attaché au fil des pages.
Dragon rouge contre dragon noir
Les querelles entre familles, comme souvent dans cet univers, prennent aussi la forme d'affrontements de symboles héraldiques. Le blason noir aux trois têtes de dragon rouge appartient à la dynastie des Targaryen ; le bâtard Daemon Blackfyre (du nom de l’épée d’Aegon qui lui est échue) a pris les mêmes armes en inversant les couleurs. Son dragon est donc noir, contre celui rouge de Daeron, héritier légitime du trône.
Daemon a été vaincu par Daeron avec l'aide d'un autre bâtard royal, surnommé Ravenblood. Maître des espions, magicien cruel, archer émérite, il est craint et détesté dans tout Westeros et au-delà; son ombre pèse aussi sur les aventures de Dunk et Egg.
La guerre civile s’est déroulée des années auparavant, et à premiere vue il ne reste plus grand-chose des anciens insurgés, à force de ralliements tardifs, de pardons et de disparitions. Mais en réalité les anciennes ambitions et les rancunes couvent toujours, et les traces du conflit affleurent encore partout dans les 7 royaumes...
Comme un Trône de Fer
Difficile de parler de ce livre sans se référer à la série colossale qui a popularisé le monde de Westeros.
Pour tous ceux qui attendaient le dernier opus de la série, ce livre est un divertissement mais aussi un délai. Pour l’auteur, cela ressemble à une récréation de 600 pages, écrite en trois fois. Comme s’il avait voulu mettre en scène d’autres aspects de sa création qu’il n’a pas pu montrer dans la série principale, ou adopter un ton différent. Ces différences méritent d'être notées.
La série éponyme se déroule après le renversement du dernier roi Targaryen, Aerys le Fol, à un moment où l'équilibre instable entre les grandes familles de Westeros finit de basculer, et où sortent les couteaux. Ce roman, au contraire, se situe dans une époque où la dynastie régnante est nombreuse et incontestée, où il subsiste des dragons éteints quelques œufs que l'on s'échange et s'offre comme des objets précieux.
C’est le temps des tournois, de héros et de légendes dont le souvenir qui restera encore vif un siècle plus tard, mais pour autant il ne s’agit pas d’un âge d’or : sécheresse et maladies frappent le pays, et le spectre de la guerre civile est omniprésent. Elle oppose ici des branches rivales de la famille régnante, et non les grandes familles féodales qui restent soumises au trône.
Si la couleur est médiévale, cet univers reste pour George Martin une exploration du pouvoir, des grands joueurs qui s’y affrontent, et des petites gens que ces querelles emportent et meurtrissent.
Une Histoire de Noblesse
Roman de chevalerie
Plus encore que dans le Trône de Fer, l’inspiration de G.R.R. Martin apparait avec évidence. Il écrit sur un moyen-âge très classique, loin de l'antiquité barbare de Conan, des mythologies nordiques de Tolkien ou des excès d'un Moorcock.
Si on trouve toujours un effet de réalité très travaillé, à base de détails quotidiens et sûrement d’une solide documentation, la matière semble tirée tout droit de romans courtois, d’histoires de chevaliers masqués entrant en lice... Il y a ici un peu d’Ivanhoë, peut-être souligné par le style rétro des illustrations intérieures.
En cohérence avec cette approche, le récit se déroule essentiellement au coeur de Westeros. Dorniens et Nordiens ne sont qu’évoqués sans jamais apparaître, on reste dans un registre très classique, avec peu de variations ou d'exotisme. La magie non plus ne joue pratiquement aucun rôle, si l’on exclut les légendes autour de Lord Ravenblood ; pas de dragons, pas de marcheurs blancs, pas de magie du feu inspirée par Rh’lorr… On reste ici aussi très proche d’un canon médiéval.
Grands et petits
Les personnages de ce récit sont beaucoup plus homogènes que ceux de la série : là où le Trône de Fer nous fait passer des plus basses crapules aux plus puissants princes (et parfois les deux à la fois), ici le monde de la noblesse, petite chevalerie et grands seigneurs, est mis en scène d’un tournoi à l’autre.
Le héros est un « hedge knight », car il dort sous les haies et n’a pas de seigneur qui l’entretienne. On rencontre plusieurs de ses pareils au cours de ses aventures, fiers et pauvres, cherchant un engagement ou fuyant quelque chose. Comme chez les Ronin japonais, les chevaliers sans maître vivent aux marges de la société ; quand ils ne trouvent pas de client pour leurs compétences martiales, la tentation est grande de se servir de leurs armes pour prendre ce dont ils ont besoin. George Martin fait bien ressentir la porosité de la frontière entre chevalier errant et brigand, par les dilemmes de Dunk, et par le regard que posent sur lui les gens mieux établis.
A l'opposé, on croise des potentats et certains des plus grands princes de la maison royale, admirables, inquiétants ou pathétiques. Cependant, jamais on n'accède à leur perspective. Pas de points de vue tournants, ce roman reste celui de Dunk, ancien orphelin des bas-fonds de Port-Réal, errant sans le sou à l'âme chevaleresque : « Un Chevalier des Sept Royaumes ».
Faux semblants et clichés détournés
Déjà dans le Trône de Fer, Martin semblait s'amuser à prendre le contrepied des clichés héroïques, souvent par un jeu de massacres qui fait tomber les héros attendus, parfois en nous révélant l’envers du décor : les histoires, les désirs et l'humanité des « méchants », qui s'avèrent souvent plus compliqués que l'on ne croyait, et moins faciles à condamner.
Ici aussi on retrouve ce goût de surprendre, de détourner les stéréotypes. Si la violence et les éliminations physiques ne manquent pas, c’est plutôt au niveau des personnages que George Martin nous lance sur de fausses pistes, en ricanant dans sa barbe. Dans l’histoire de la Veuve Rouge, ou avec les chevaliers rencontrés lors des tournois, souvent les apparences sont trompeuses.
L'Avis du Barde
Ce roman a toutes les qualités d'un bon "prequel" : il nous fait revivre dans l'univers familier que le lecteur souhaitait retrouver, mais offre une perspective différente, une époque aux autres enjeux, et une intrigue nouvelle qui permettent de maintenir l'intérêt. Le délicat équilibre entre le familier et la nouveauté est réussi.
Évidemment, on ne pouvait pas s'attendre à un souffle aussi ample que celui d'une saga inachevée aux nombreux tomes : le casting est moins nombreux, on a un peu économisé sur les figurants… Mais le plaisir reste, celui d'un entremet savoureux entre deux viandes plus consistantes. La dernière histoire propose les enjeux les plus élevés, comme de juste, mais j'ai préféré les deux précédentes, où le charme de la découverte garde sa fraîcheur.
L'appétit vient en mangeant, et je tourne désormais mes regards gourmands vers les volumes colossaux d’un autre prequel du même auteur, « Fire and Blood ». L'histoire de la conquête de Westeros par les Targaryens, avec un titre pareil ça ne devrait pas provoquer l'ennui.