Convenons-en: ça fait plusieurs siècles que nous avons la partie facile, nous autres humains. Pourtant nous avons commencé notre carrière d'espèce assez bas dans la pyramide alimentaire, petits primates à la chair tendre, dépourvus de griffes ou de carapace. Nous étions du gibier. Alors que maintenant, nous faisons la loi sur la planète: les autres espèces nous servent de nourriture, de force mécanique, de compagnie, de biens de consommation... On les chasse, les détruit ou les élève, bref on les objectifie à tour de bras. Voilà pourquoi l'idée d'avoir un prédateur est devenue intéressante: l'exotisme sans doute, le frisson d'une crainte ancestrale qui a disparu de notre quotidien, remplacée par la peur du gendarme et l'angoisse des impôts.
Ce thème a fourni la matière de contes et de légendes (l'ogre dévoreur d'enfants), et il a aussi inspiré pas mal d'auteurs dans le domaine qui m'intéresse: l'imaginaire. Et pour tout vous dire, c'est un sujet cher à mon coeur depuis longtemps.
Avant de s'y plonger, un peu de définition s'impose: un prédateur, d'après le Larousse, est "un animal pratiquant la prédation" - jusqu'ici on arrive à suivre - qui elle-même est un "mode de nutrition très répandu dans le règne animal, et qui consiste à s'emparer d'une proie (animale ou végétale) pour la dévorer et se nourrir de sa substance." Cette définition appelle quelques remarques : un prédateur est plutôt un animal, mais les plantes carnivores rentrent évidemment dans cette catégorie. Ensuite, le prédateur se nourrit de ses proies: il ne fait pas tout ça pour le plaisir, mais pour bouffer, et donc dépend de l'existence des proies pour sa survie. Les prédateurs ne font pas la guerre au gibier: quand ils en ont l'intelligence, ils l'entretiennent. L'élevage s'inscrit donc très bien dans une relation prédateur-proie.
Il y a déjà eu de nombreuses créations sur ce thème, à commencer par...
Le prédateur de la nuit
Bien sûr : le vampire! On ne présente plus le premier des morts-vivants.
Comparé à d'autres prédateurs, le vampire a beaucoup en commun avec ses proies : ancien humain perverti, il en a gardé le corps avec quelques transformations mineures (dents, couleur de peau...). Bien souvent, il vit au sein même des communautés humaines, mais on ne le rencontre que dans la pénombre.
L'autre originalité de ce prédateur vient des lourds sous-entendus sexuels dont il est porteur (hin hin hin), qui expliquent sa popularité auprès du public adolescent.
Le vampire est souvent civilisé, voire manipulateur. Il a volontiers la fibre pastorale et politique, et se constitue parfois son propre troupeau humain, une réserve de sang sur pied. Quand sa domination est parfaite, elle s'exerce sans que ses proies ne s'en rendent compte. Les humains ne se conçoivent pas comme du gibier traqué, exception faite de certains villages des Carpates.
Le problème avec les histoires de vampire, c'est que la société humaine reste celle que nous connaissons - le vampire donne la matière de récits fantastiques, pas de spéculations de type SF.
Face à la difficulté de trouver d'autres adversaires à la hauteur de l'humanité sur notre planète, l'imaginaire s'est tourné vers l'espace, et en a tiré quelques lascars plus francs du collier.
Predator
Gros succès des années quatre-vingt, cet adversaire par excellence de toute autre espèce est apparu dans un film avec Arnold Schwarzenegger, puis dans des suites et produits dérivés.
Le predator, tueur extra-terrestre, nous arrive d'une société tribale, mais avancée technologiquement; son principal loisir est la chasse. La valeur de chacun de ses membres est régulièrement mise à l'épreuve dans ces safaris, où ils prévalent grâce à des équipements évoquent quelque peu de la magie - en particulier l'invisibilité, qui est ma foi bien pratique.
Le Predator est une telle machine à tuer que son nom même semble inexact : il choisit ses proies en fonction de l'honneur qu'il aura à les vaincre - les faibles sont ignorés. C'est une logique de guerrier, pas de chasseur. D'ailleurs il ne semble pas qu'il se nourrisse de ses prises.
Les cinéphiles se souviendront que le Predator rencontre une autre créature emblématique, dans un de ces films sans concessions dont Hollywood a le secret : Aliens Vs Predators...
Alien
Voilà un autre client sérieux, et qui mérite mieux son nom de prédateur. L'alien a besoin d'une créature dans laquelle il injecte son embryon. Celui-ci parasite ensuite son hôte, qui se suralimente pour assurer la croissance de l'adorable petite créature. Vient ensuite le moment où elle émerge du torse de son hôte en le déchirant au passage, et commence à boulotter ses copains, mais cette-fois-ci de l'extérieur.
L'alien est lui aussi une sorte d'absolu : capable de se nourrir de n'importe quel organisme, il est quasiment indestructible, et son fluide vital est un acide tellement corrosif qu'il traverse plusieurs étages quand on a le malheur de le répandre. Une fois éclos, l'alien prend immédiatement la place qui lui revient, au sommet de la pyramide alimentaire. C'est le prédateur ultime de n'importe quel écosystème.
Les écrivains de SF ont imaginé bien d'autres créatures extra-terrestres qui pourraient se nourrir de l'homme, mais ces deux-là sont les plus significatives et les plus chargées de symbolique.
Le prédateur infiniment petit
En réalité, le vrai ennemi biologique de l'humanité, c'est désormais la maladie. Cependant, même si les micro-organismes s'apparentent à des prédateurs dans leur relation avec notre espèce, je les réserve pour une autre discussion: ils ne chassent pas, ils contaminent. Les individus séparés, petits virus ou bactéries isolés, ne comptent pas, seule existe l'épidémie dans son ensemble.
La prochaine fois je vous parlerai un peu des idées que ca m'inspire.
A suivre...